L’ambroisie à feuilles d’armoise, plante invasive et hautement allergène, ne cesse d’étendre son territoire, portée par les effets du changement climatique. Or, jusqu’ici, l’Europe ne disposait pas d’outils fiables pour suivre la progression du pollen d’ambroisie en suspension dans l’air. Une équipe de chercheurs vient de franchir une étape majeure avec de nouvelles cartographies. Il ont restaurer des données, parfois manquantes, grâce à l’intelligence artificielle. Cela a permis de produire les cartes les plus détaillées jamais réalisées sur le pollen d’ambroisie à l’échelle du continent.
L’ambroisie à feuilles d’armoise (Ambrosia artemisiifolia) représente un enjeu majeur en France, tant sur les plans sanitaire, économique, humain qu’environnemental. En effet, près d’un tiers des adultes souffriraient d’allergie aux pollens (tous types). Cette prévalence serait moindre chez les enfants et les adolescents, comprise entre 7% et 20%. Entre 1,7% et 5,4% de la population française serait allergique à l’ambroisie (fortes disparités spatiales), soit entre 1 115 000 et 3 504 000 personnes sur le territoire métropolitain. Les coûts économiques de santé liés sont estimés à :
• Coûts de prise en charge (soins) : 59M€ et 186M€
• Coûts de pertes de production (arrêt de travail) : 10M€ et 30M€
• Coûts de perte de qualité de vie : 346M€ et 438M€
Impacts indirects et changement climatique
À ces impacts directs s’ajoutent d’autres effets indirects non négligeables : nuisances pour le secteur du tourisme, menaces sur la conservation de la biodiversité, ainsi que des conséquences économiques pour l’agriculture en raison de la contamination des semences par des graines d’ambroisie.
De plus, le réchauffement des températures prolonge la saison pollinique, augmente la concentration de pollen dans l’air, et permet à la plante de s’implanter dans des latitudes plus élevées. En conséquence, le nombre de personnes exposées augmente fortement. À l’échelle européenne, le nombre d’individus sensibles au pollen d’ambroisie pourrait passer de 33 millions (entre 1986 et 2005) à 77 millions d’ici 2041–2060. En France, une augmentation de 231 % de la sensibilité est anticipée dans les prochaines décennies.
Pourquoi cartographier précisément le pollen d’ambroisie ?
Face à cette évolution, il est devenu crucial de suivre l’évolution de l’ambroisie dans l’espace et dans le temps, afin de mieux anticiper les pics d’exposition, protéger les populations à risque, et orienter les politiques de gestion environnementale et sanitaire. Or, pour que cette surveillance soit fiable, elle doit s’appuyer sur des cartes précises de la concentration pollinique. C’est dans ce contexte qu’une équipe de chercheurs européens a pu restaurer les données manquantes de pollen d’ambroisie et produire, à partir de là, des cartographies à haute résolution les plus détaillées et les plus fiables jamais établies en Europe.
Une méthodologie innovante dans la cartographie de surveillance pollinique
Pour répondre à l’urgence de produire une cartographie fiable de l’ambroisie à l’échelle européenne, les chercheurs ont dû combler les lacunes dans les séries de données journalières de concentrations polliniques. Pour cela, ils ont développés deux approches statistiques : une méthode gaussienne (MG), fondée sur des ajustements classiques des moyennes et des variances saisonnières, et une approche d’intelligence artificielle basée sur l’apprentissage profond (deep learning, DL).
Huit configurations de modèles ont été testées et comparés, en combinant ou non les données météorologiques, des schémas de perturbation représentant des jours manquants soit isolés, soit consécutifs. Le modèle basé sur le deep learning s’est montré supérieur à la méthode gaussienne pour reconstituer avec précision la concentration du pollen dans l’air. Les performances de ce modèle ont été évaluées et sont satisfaisantes.


Des données inédites, une couverture continentale pour une cartographie complète
Les données utilisées proviennent de 625 stations aérobiologiques réparties à travers l’Europe. Toutefois, pour garantir la qualité des reconstructions, seulement les stations qui présentent une importante couverture de données entre le 15 juillet et le 15 octobre (période de floraison de l’ambroisie) 1995 et 2010 ont été retenues. Cette sélection a permis de constituer une base de 67 stations fiables.
Le traitement cartographique a fait l’objet de nouvelles corrections par rapport à toutes les cartographies existantes. Ainsi, seules les zones situées à moins de 150 km d’une station ont été cartographiées, excluant les régions trop éloignées. De même, les zones dont l’altitude était supérieure à environ 100 m au-dessus du niveau de la mer n’ont pas été cartographiées. Enfin, seules les stations affichant une concentration moyenne annuelle supérieure à 100 grains de pollen par mètre cube d’air ont été retenues. Ces filtres garantissent une représentation plus fidèle de la réalité biologique du terrain.
Animation 2D – Concentration annuelle moyenne de pollen d’ambroisie sur 16 ans pour l’Europe avec les positions géographiques des 67 stations aérobiologiques, données originales, 1995-2010, 15 juillet – 15 octobre, (grains de pollen · m-3 d’air). Réalisé par un scientifique de l’étude.
Animation 3D – Concentration annuelle moyenne de pollen d’ambroisie sur 16 ans pour l’Europe avec les positions géographiques des 67 stations aérobiologiques, données originales, 1995-2010, 15 juillet – 15 octobre, (grains de pollen · m-3 d’air). Réalisé par un scientifique de l’étude.
Une plateforme ouverte pour la recherche et la gestion
Enfin, les données issues de cette étude sont mises à disposition librement via une plateforme web dédiée : euragweedpollen.gmf.u-szeged.hu. Elle permet d’accéder aux données brutes ou restaurées, de consulter les séries temporelles des différentes stations, et de télécharger les fichiers pour des analyses locales ou continentales.
Au-delà de l’exploit méthodologique, la production de ces cartes apporte un outil opérationnel et de disposer d’une représentation spatio-temporelle précise de la concentration en pollen. Cela permet d’évaluer l’exposition actuelle des populations, mais aussi de modéliser les évolutions futures dans un contexte de réchauffement climatique. Ces cartes facilitent l’identification des zones les plus à risque, la planification d’interventions sanitaires ciblées, la mise en œuvre de mesures d’atténuation localisées. De plus, cela permet de prioriser les efforts de gestion territoriale pour limiter la propagation de cette plante invasive et ses effets sur la santé publique.
Rédaction : Marine AUDONNET, FREDON France
Sources
László Makra, I. Matyasovszky, G. Tusnády, et al.
A temporally and spatially explicit, data-driven estimation of airborne ragweed pollen concentrations across Europe, Science of The Total Environment, Volume 905, 2023.
https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2023.167095
Rapport Anses, 2020. Impacts sanitaires et coûts associés à l’ambroisie à feuilles d’armoise en France
https://www.anses.fr/fr/system/files/AIR2018SA0088Ra.pdf